Sidwaya (S.) : Vous venez de recevoir une distinction de l’université du South Dakota aux Etats-Unis. En quoi consiste exactement ce prix ?
Patrice SANOU (P.S.) : L’université qui m’a distingué fait partie des premières qui ont développé l’enseignement des systèmes d’information géographique et de la télédétection aux Etats-Unis. En tant que pionnière, elle a suivi les premiers étudiants qui ont démarré l’application de ces outils pour apprécier leur capacité à vulgariser cette technologie. Nous avons donc certainement été suivis depuis la fin de nos études dans cette université du South Dakota. Nos activités au plan international et au Burkina Faso dans le domaine scientifique ainsi que la fondation de l’Institut supérieur d’étude spatiale et des télécommunications (ISESTEL) avec tous les appuis technologiques que nous avons apportés à plusieurs institutions nationales et internationales ont dû convaincre les autorités universitaires de l’Université de l’Etat du Dakota du Sud à nous décerner une reconnaissance. Nous avons en effet été surpris que ce que nous faisons soit vu et apprécié au-delà de nos frontières. Ce prix consiste donc à récompenser un ancien étudiant de l’université, aujourd’hui professionnel spécialiste qui excelle dans l’application de tout ce qu’il a pu apprendre. J’ai été désigné comme étant le spécialiste ayant le mieux produit au cours de l’année.
S. : Que représente ce prix pour vous ?
P.S. : Ce prix représente beaucoup de choses pour moi et pour le Burkina Faso ainsi que pour les étudiants que nous formons. Ceux-ci ont maintenant la conviction que leur enseignant vaut la peine d’être écouté. C’est la preuve qu’ils doivent toujours être performants. Un jour, leurs efforts seront reconnus quelquepart. Ce prix est un encouragement c’est vrai, mais je suis obligé aujourd’hui de faire davantage parce que je sais désormais qu’on me regarde et qu’on me suit. Ce prix me met donc dans une sorte de sphère des érudits. Aujourd’hui, lorsqu’on veut débattre des technologies spatiales, si je suis présent, mes mots peuvent être bien pris en compte. Le certificat d’ailleurs le dit, c’est un certificat de reconnaissance de l’excellence d’un ancien étudiant dans le domaine des technologies géographiques. En plus, par ce prix, cette université nous accueille car nous sommes sur la bonne ligne scientifique. De ce fait, elle ouvre ses portes à nos étudiants. C’est-à-dire que nos diplômes sont reconnus dans cette université. Il y a un partenariat en gestation où certains des diplômes de l’ISESTEL seront co-signés avec l’Université du South Dakota. Vu nos productions et l’enseignement au sein du centre, cette université reconnaît que les diplômes valent la peine d’être validés. Un étudiant burkinabè qui se présente dans cette université avec notre diplôme sera donc automatiquement accueilli. Au-delà de cette reconnaissance scientifique, il y a le partenariat qui se met en place entre l’ISESTEL et l’Université du South Dakota, entre le Burkina Faso et les Etats-Unis. C’est une continuation, un renforcement de la coopération entre les deux pays qui devient scientifique.
S. : Comment s’est déroulée la cérémonie de distinction qui a eu lieu le 15 mars ?
P.S. : J’ai regretté de ne pas avoir eu mes étudiants, mes collègues, mes partenaires nationaux et ma famille avec moi. La cérémonie a été riche en émotion. J’ai été très honoré. J’étais la star de la cérémonie. La distinction a eu lieu au cours d’une convention qui avait regroupé toutes les sommités scientifiques du domaine au sein de l’université. Le président de l’association des géographes américains était présent. Et lorsque devant tout ce monde on vous appelle pour venir recevoir un prix, c’est extraordinaire. Avant de me remettre le prix, ils ont fait un témoignage sur ma personne, mes productions, les travaux que j’ai eus à mener. J’ai retrouvé là-bas des œuvres que j’avais même oubliées. Ils ont rendu compte en 20 minutes à cette illustre assemblée, tout ce que j’ai effectué dans le domaine des technologies spatiales. C’est à l’issue de cette présentation que j’ai reçu le trophée, dénommé Alumni award plus le certificat. Avant mon départ des Etats-Unis, j’ai reçu aussi deux lettres des enseignants les plus gradés de l’université, c’est-à-dire le chef de département et l’academic adviser, qui ont écrit des témoignages sur moi. C’est plus qu’un diplôme. Que ces sommités écrivent et signent sur moi, prouve que j’ai une valeur. Si je cherchais de l’emploi actuellement, je n’aurais plus besoin de lettre de recommandation.
Mes anciens enseignants qui n’étaient plus dans la ville ont été invités et plusieurs d’entre eux sont venus. J’étais dépassé par cette marque de considération. Je vais vous raconter un fait divers lors de mon séjour là-bas. « Le lendemain de mon arrivée, l’hôtel a appelé un taxi pour que j’aille m’acheter une carte SIM. J’ai discuté sur l’objet de ma présence aux Etats-Unis pendant le trajet avec le conducteur. Lorsqu’il m’a ramené à l’hôtel, il m’a avoué qu’il était impressionné qu’un Africain qui a étudié ici ait reçu une telle distinction. Car les autres années, ce sont des Américains généralement qui étaient primés ». Le séjour et la cérémonie ont été une véritable bénédiction de Dieu. Je n’ai pas poussé pour être primé, je ne sais même pas comment ils ont pu avoir autant d’informations sur ce que je fais.
S. : Etes-vous le premier Africain à recevoir ce prix ?
P.S. : Au niveau du département de géographie, je suis le premier Africain à recevoir ce prix. D’habitude, ce sont des anciens étudiants américains qui étaient distingués. Il faut certainement être percutant dans vos activités pour être repéré. Mes multiples interventions dans de nombreux colloques hors du Burkina ont peut-être plaidé en ma faveur. Et en plus, le domaine est nouveau. Donc, pour trouver des Africains qui puissent être élevés à ce rang, il faut attendre un peu. Cette technologie est nouvelle en Afrique et même dans le monde, mais ça viendra.
S. : Vous venez de dire que c’est une science nouvelle. Quelle peut être l’importance des technologies spatiales dans un pays comme le Burkina ?
P.S. : Pour le Burkina Faso, cette science est absolument essentielle. Développer un pays, c’est d’abord le connaître. Comment le connaître entièrement, même si nous ne faisons que 274 200 km2 ? Mais cette superficie n’est pas minime. Pour les chercheurs, comment pouvoir couvrir toute cette surface avec des méthodes traditionnelles d’investigation de terrain ? Ils pourront le faire mais cela prendra du temps. Aujourd’hui, le Burkina est un pays minier, mais des gens viennent d’ailleurs tout simplement dire où ils veulent qu’on leur délivre le permis d’exploitation. Parce qu’avant de venir, ils ont connu le pays aussi bien en surface que son sous-sol. Car les outils de technologie spatiale vous amènent le terrain au laboratoire. Vous le détaillez et vous l’analysez mieux parce que vous allez de petites superficies en petites superficies. Alors que sur le terrain, il est difficile d’aller de mètre carré en mètre carré et certaines parties seront à coup sûr abandonnées ou oubliées.